Rarement une performance ne m’a autant enthousiasmé! J’ai eu le privilège d’assister à la première de « Corps mort », une performance dansée scénographiée et chorégraphiée par le créateur Martin Messier.
Sur scène, trois interprètes et des chaises suspendues au-dessus de la scène par un système de poulies. C’est de l’interaction entre les danseurs et ces objets inanimés que naît la magie, un véritable ballet du non-vivant qui explore le corps dans sa mortalité et l’objet dans ce qu’il a eu de plus vibrant. Qui aurait pu croire qu’une simple chaise de métal pouvait prendre vie à ce point et transmettre au spectateur autant d’images mentales et, j’ose le dire, d’émotions ?

Le tour de force de Martin Messier c’est d’avoir réussi à trouver un équilibre parfait entre lumière, musique, mouvement et décor. La proposition est nourrie par cette intégration, qui n’est en rien superflue. L’immersion est en effet totale pour le spectateur.
Musique et mouvement constituent le premier maillon de cette expérience intégrée. Que le rythme provienne de la musique ou du mouvement des chaises, le dialogue entre les deux est omniprésent et sert la performance dans son intégralité. Le travail sur la lumière est également impressionnant de précision et de pertinence; ce qui est trop souvent négligé est ici magnifié au point de donner du sens au propos. Non, la lumière n’est pas un détail, qu’elle soit faisceau lumineux, flash stroboscopique ou quasi-obscurité, elle dicte le mouvement autant que la musique. Enfin, l’inventivité du décor et de son utilisation transcende sa nature-même et en fait un personnage en soi, d’une justesse saisissante.

Questionnant l’humain contre l’objet, le vivant contre le soit-disant inanimé, la chorégraphie s’intègre à la scénographie dans un langage exigeant et magnifiquement maîtrisé par Kimberley de Jong, Patrick Lamothe et Simon-Xavier Lefebvre. De pantins désarticulés en marionnettistes maîtres de la matière lorsqu’ils font tournoyer les chaises dans les airs, les danseurs sont un pont entre animé et inanimé, vie et mort…et même un peu entre les deux. On admire notamment la gestuelle inspirée des zombies et la connotation « vaudoue » qui se dégage du premier tableau, culminant dans une sorte de transe rituelle, au rythme du beat hypnotique des chaises qui battent la mesure, suspendues dans les airs. Entre vie et mort du corps, il y a définitivement un questionnement spirituel dans la pièce. Mention spéciale pour les performances solo de Kimberley de Jong et l’ahurissante maîtrise qu’elle a de son propre corps, dont même le craquement des articulations vient s’intégrer à l’environnement sonore.

Il y aurait encore tant à dire, tant de couches de lecture possibles, que l’on ne peut que vous conseiller d’assister à l’une des prochaines représentations au théâtre La Chapelle (du 24 au 27 janvier).

Crédit photo : Juliette Busch