On a beaucoup parlé de la nouvelle pièce d’Annick Lefebvre, ColoniséEs, présentée depuis le 22 janvier dernier au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. J’ai assisté à la deuxième représentation, le 23 janvier. Et puis je me suis laissé prendre par la routine des choses et mon partage d’expérience est resté dans ma tête, s’estompant peu à peu.

Il faut dire que j’avais abordé le spectacle comme une énième pièce à la posture victimaire. En tant qu’immigrant, il est parfois difficile de comprendre les nuances de cette posture d’un peuple qui a manqué ses rendez-vous avec l’Histoire. Pourtant, je me considère comme un immigrant intéressé, bienveillant et à l’écoute de sa terre d’accueil (en l’occurrence, Montréal). Et là, le texte d’Annick Lefebvre m’a captivé.

Dans une mise en scène sobre de René Richard Cyr, dans laquelle de simples pieds de micros occupent le fond de la scène, comme autant de prises de parole non entendues, l’autrice Annick Lefebvre rappelle au public la petite et la grande histoire récente d’un peuple qui cherche à s’émanciper et à se retrouver. Le tout en mettant en scène une serveuse d’aujourd’hui, une jeune fille désabusée qui porte encore les cicatrices du printemps érable de 2012. C’est elle, le Québec d’aujourd’hui. Dans sa langue peuplée d’anglicismes, elle reste marquée par l’injustice et la répression qu’elle a connue dans sa chair lors de cette crise sociale majeure qui a révélé au Québec que la mobilisation des jeunes est toujours possible.

S’entrecroisent avec son histoire les moments forts de la relation entre Gérald Godin et Pauline Julien, figures engagées et artistes pour un Québec libre. Sur scène, six comédiens (trois hommes et trois femmes) incarnent les deux artistes tour à tour ou en chœur. De leur rencontre à la mort de Godin et l’aphasie de Pauline Julien, c’est toute l’histoire du Québec récent qui s’égrène au fil des tableaux. La manifestation du 24 avril 1968 et sa brutalité policière, les référendums ratés, l’attentat contre Pauline Marois. Et les Carrés rouges, bien sûr. Dans le texte, les plaques tectoniques de l’histoire du Québec s’entrechoquent et révèlent des blessures profondes, des colères vives.

Je connaissais mal l’histoire du Québec et je n’attendais rien de cette pièce. Mais que dire de la langue! Inclusive, fluide et percutante. Annick Lefebvre est une virtuose. Elle est venue chercher dans ma gorge le motton amer de cette nation brimée. Chiffres à l’appui, elle dresse non seulement le portrait de la répression mais vient mettre en perspective l’énergie collective déployée à réaliser la vision d’un peuple. Une pièce que je recommande à tous les nouveaux immigrants…et les plus anciens. Pour comprendre avec bienveillance l’accueil qu’on reçoit, les débats qu’on entend et trouver sa place dans une société plus complexe qu’il n’y parait.

Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 22 janvier au 16 février 2019 + 1 supplémentaire le 19 février.
Crédit photo : Valérie Remise