Le soleil, le marbre, les maisons ocre aux stores fermés, l’air encore chaud d’octobre. Rome. 10 jours en short, loin des pulls en laine de l’automne montréalais. Mon sang italien m’appelait. J’ai choisi de jouer la carte des contrastes et d’aborder cette ville par la recherche d’inattendu plutôt que de suivre la route tracée par le Lonely Planet. J’avais dit à mon hôte que je ne souhaitais pas faire le touriste mais vraiment vivre à la romaine. Phrase bateau, s’il en est, et terriblement bobo, mais l’intention était réelle. Y étant déjà allé en l’an de grâce 1995, lors d’un voyage de classe dont les contours sont un peu flous, il était facile de se débarrasser rapidement de l’urgence de rester debout durant des heures à attendre en file devant l’entrée des Musées du Vatican ou de faire trois fois le tour du Colisée. Alors, je ne vais pas faire un résumé exhaustif de mon séjour, mais c’est par des fragments choisis que je voudrais conserver les souvenirs de cette (re)-découverte de Rome, et d’une identité italienne qui se réapprend.

S’immiscer en territoire occupé
Impossible de les éviter, ils sont partout. Rome dégueule littéralement de touristes, comme si toute la ville ressemblait à la place Jacques Cartier ou aux Champs Élysées, à la mi-juillet. Il faut souvent lutter pour ne pas se retrouver au milieu d’un groupe…ou alors, choisir de le faire pour embêter le guide. Et les vendeurs à la sauvette l’ont bien compris. Armés de bras articulés, ils poursuivent les visiteurs pour leur vendre cet outil révolutionnaire, qui permet de prendre de meilleurs selfies, car visiblement, on n’a jamais le bras assez long…. Bien que j’aie voyagé seul, j’ai eu un peu de mal à comprendre ce besoin de se mettre soi-même en scène pour valider le fait qu' »on y était ». Je dois être un peu vieux-jeu.
 
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Voir du beau
Hé les gars, va falloir se réveiller sévèrement sur le style et l’élégance. À force de vivre à Montréal, on perd un peu l’habitude de faire attention à son style vestimentaire. L’élégance italienne, à Rome ou Florence, est légendaire. Coupes ajustées, tons pastels ou couleurs vives, initiales brodées sur les chemises, tout contribue à ce que la tenue soit harmonieuse…et ça fait du bien.

Traditions et contrastes : jeu de façade
Rome est une paysanne de province dans un corps d’aristocrate. C’est bizarre à dire pour une capitale internationale, mais elle est partout, cette mentalité traditionnelle, qui contraste avec la densité et la modernité attendue de la ville. L’influence du Vatican reste très forte, d’ailleurs, à Rome, la radio du Vatican écrase les autres stations de radio par la puissance de son émetteur. C’est particulièrement vrai pour ce qui est de la communauté gaie, qui n’a pas vraiment de quartier, comme dans de nombreuses autres capitales mondiales. On est encore dans la méfiance, les faux-semblants et l’hypocrisie. Comme ils sont beaux tous ces hommes mariés et hétérosexuels sur les applications de rencontres gaies! Alors, sous le poids de la tradition se développe un monde d’échange souterrain où les désirs et la liberté peuvent s’exprimer. Mais personne n’est dupe à la surface : les effluves de poubelles de la rue finissent toujours par empester le marbre des palais les plus opulents…

Le bordel, l’autre nom du déplacement
Il faut avoir le cœur bien accroché à Rome quand on se déplace tant le trafic est omniprésent et les conducteurs peu scrupuleux. Mon hôte avait eu l’idée merveilleuse de mettre à ma disposition un vélo vintage. Outre le plaisir évident d’avoir pu découvrir la ville sous un autre œil (les vertèbres détruites par les pavés romains mais le sourire aux lèvres), on manque de se faire renverser tout le temps par une vespa, une voiture, un autobus ou un groupe de touristes. C’est le rodéo permanent. La solution? Rouler à contre-sens, et se lancer dans le bordel sans peur, parce que, de toute façon, un conducteur romain ne voudra jamais abîmer sa voiture, donc il s’arrêtera pour vous laisser passer, dixit mon hôte. Une sorte d’élégance là-aussi. À l’italienne.

Mange, aime, mange

pizza!!!
Confirmation du cliché. À Rome, on mange (et on boit) bien. De la subtilité du gelato pistache de la Gelateria dei Gracchi, en passant par la margherita d’institutions comme La Montecarlo ou chez Baffetto, le bon goût est partout. Vous allez dire que j’exagère, mais l’attention qui est portée à la bouffe dans cette ville fait chaud au cœur. S’arrêter dans une petite boulangerie/bistrot, où l’on peut manger à volonté pour 10 euros, et s’émouvoir d’une lasagne aux champignons avec des couverts en plastique, c’est ça aussi Rome…

Sexy beast priest
Attention, blasphème! Étant logé tout près de la basilique Saint-Pierre, je l’ai vu de mes yeux : à Rome, le prêtre peut être jeune et sexy. Il faut le savoir. Armés de leur téléphone intelligent, toutes dents blanches et muscles dessinés, ces jeunes éphèbes dont le choix de vie m’apparaît un peu désuet, sont au top de leur vocation carrière. Juste essayer d’imaginer la vie secrète du microcosme du Vatican, à l’abri des portes closes. Paraît-il qu’on trouve beaucoup de profils avec la photo de la basilique sur Grindr. Enfin, moi je dis ça…

Les moments justes : images en vrac

Faire une sieste au pied d’un arbre dans le parc de la Villa Borghese, loin de l’agitation et du bruit des voitures.

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Retrouver la Trinité des Monts, où j’avais séjourné en 1995, et la découvrir bien plus petite que dans mes souvenirs d’ado. Ému de mûrir.

Se prendre au piège du cliché, comme lors de cette inoubliable balade à vélo, sur fond de Sarà perché ti amo, à slalommer entre les voitures, sous le soleil, des sacs de shopping à la main (chaussures et chemises italiennes, bien évidemment).

Entendre un pizzaïolo fredonner le dernier tube dance italien à la radio et saisir le clin d’oeil complice du serveur lorsqu’une jolie touriste entre dans la pizzeria.

Se faire aborder par une (très) vieille dame devant la dite pizzeria qui vous conseille (dans un anglais délicieux) d’aller dans une autre pizzeria.

Jouer à être en décalage : se balader sans but avec bonne vieille chanson française dans les oreilles ou aller voir l’excellente rétrospective du photographe français Henri Cartier-Bresson au musée de l’Ara Pacis alors que Rome regorge de musées d’art « local ».

Retrouver une amie française dans un magasin. Magie du hasard.

Se faire questionner pendant une demi-heure par une vendeuse de chemises, sur l’immigration, la crise, les choix de vie, et se faire dire que je serais mieux au Danemark.

Sourire. La première expression, dès le premier contact, reconnaître l’autre et lui être immédiatement bienveillant. Gratuitement et sans attentes.

Se surprendre à parler avec les mains.

Bref, se sentir à sa place, dans une identité multiple et plus que jamais assumée.