Le dimanche matin, quand j’émerge trop tôt après une nuit bien trop courte, je me prends parfois à paresser sur l’ordi, et j’en profite souvent pour faire mes rattrapages de séries, et explorer Youtube à la recherche de films complets et de courts métrages. Et à ma grande surprise, on trouve beaucoup de films complets sur Youtube. Des films alternatifs, auto-produits venant de tous les pays du monde. Des navets et des pépites. Souvent je cherche des films à thématique gay (coming out, discrimination, romance…), parce que ce genre de productions franchit rarement l’étape de la diffusion au cinéma. Thématique trop clivante, sûrement. Dimanche dernier, ce n’est pas une petite production alternative que j’ai regardé, c’était The Normal Heart, qui a créé en moi une diffraction massive.

The Normal Heart est un film de deux heures, diffusé le 25 mai 2014 sur la chaîne américaine HBO. Adapté de la pièce de théâtre (1985) de Larry Kramer, qui porte le même titre, le téléfilm raconte l’histoire de la mobilisation d’un groupe de gays autour de Ned Weeks, un écrivain et militant des droits gays, face à l’apparition de l’épidémie de SIDA (bien avant que la maladie n’ait un nom, d’ailleurs) de 1981 à 1983 à New York, et de la fondation du Gay Men’s Health Crisis. La pièce est largement autobiographique, et retrace le parcours du militant Larry Kramer, fondateur en 1987 de la très connue association ACT-UP. Côté casting, de grands noms se sont joints au projet, avec entre autres Mark Ruffalo, Matt Bomer, Julia Roberts, Taylor Kitsch et Jim Parsons.

Le film commence en 1981 à Fire Island, destination très connue des gays américains pour ses fêtes orgiaques et décadentes. Le temps de l’insouciance, en somme. Mais ce qu’on appelle le « cancer gay » commence à faire ses premières victimes dans l’indifférence générale, aussi bien des pouvoirs publics que de la communauté gaie elle-même. C’est là que le personnage de Ned Weeks, militant jusqu’au-boutiste se révèle comme leader (contesté pour ses méthodes et son franc-parler) face à cette crise sanitaire, contre l’apathie, les préjugés, la stigmatisation et crée l’organisation Gay Men’s Health Crisis. En réponse à la mort en série de proches, d’amis, d’amants, frappés par une maladie inconnue, la lutte pour la conscientisation commence, auprès du public, de la communauté gaie elle-même, des politiciens, sur fond de financement de la recherche médicale. Mais tout combat politique implique des jeux de pouvoirs, des différences d’approches et de stratégies de relations publiques. Il est vraiment intéressant de voir les coulisses de la gay politics de l’époque, qui démontrent à quel point la revendication/action se retrouve souvent en opposition à la perception du public. Ne pas trop revendiquer parce que c’est dangereux pour la cause des gays. Rester dans le moule, ne pas faire paniquer l’opinion publique. C’est le combat que doit mener Ned Weeks, qui choque, remue et déplaît, porté par la panique de voir la communauté gaie décimée et le besoin impérieux de faire partie de la solution.

Évidemment, le film est un tire-larmes avec son lot de drame. Il y a la politique, oui, mais elle s’entremêle avec l’histoire d’amour de Ned Weeks et de son compagnon Felix, qui finira par succomber au virus. Un amour qui les transforme tous les deux, les portant vers une recherche d’authenticité. Au delà du thème du SIDA, The Normal Heart, c’est aussi un rappel que le coeur de chacun est le même, il aime et souffre, que l’on soit hétéro, gay ou autre. Impossible de parler d’un tel sujet qui touche à la mort sans faire appel à l’émotion. Ce cri d’alarme contre l’indifférence résonne implacablement. Je suis né en juin 1981, date à laquelle les premiers articles sur une étrange maladie ont été publiés dans des revues scientifiques aux États-Unis. Je suis de la génération SIDA, celle qui n’a pas connu l’insouciance sexuelle. On m’a appris à me protéger, à devenir responsable, et à pratiquer une sexualité désormais effrayante et risquée. Imaginez 1981, tant de peur face à l’inconnu et si peu de recours. L’abandon, le cri, l’injustice. Une génération sacrifiée, décimée, qui a même donné naissance à une littérature du SIDA, comme un pan à part entière de la littérature dite « gaie ». The Normal Heart porte en lui ce devoir de mémoire, et incite à continuer la lutte, contre l’apathie, la discrimination et la stigmatisation, pour l’égalité et le vaccin. Ça peut paraître banal de le rappeler, mais pour les jeunes d’aujourd’hui (et notamment les gays), le message est toujours d’actualité. Alors, allez regarder The Normal Heart en ligne ou louez-le. Vous l’aimerez, ou peut-être pas, mais regardez-le, c’est important.