Professeur d’histoire reconnu pour sa passion d’enseigner, aujourd’hui retraité, Édouard Beauchemin a toujours été un habitué des plateaux télé où sa personnalité polémique faisait fureur. Aujourd’hui diminué par la maladie (probablement d’Alzheimer, même si ce n’est pas dit), il est laissé aux soins d’un entourage qui démissionne lentement face à l’ampleur de la tâche. Sa femme Madeleine, à bout de forces, le confie à sa fille, une reporter trop occupée. Il finit par se retrouver sous la garde de Bérénice, la fille adolescente du nouveau conjoint de sa fille.
Incapable de se souvenir du moment présent, et cruellement conscient des défaillances de sa mémoire, il assiste impuissant à l’extinction programmée de son feu sacré. Mais la rencontre avec la jeune Bérénice va raviver des souvenirs enfouis dont celui de sa fille disparue, suicidée. Face à l’envie de l’oubli et la maladie, c’est un souvenir bien vivant qui revient l’habiter et exorciser ce secret de famille. Le nez collé à son téléphone intelligent, Bérénice pourrait représenter tout ce qu’il abhorre de notre époque : la course à l’instantanéité, la « dématérialisation du monde », comme il le dit si bien. Mais la potentielle incompréhension inter-générationnelle se transforme subtilement en un travail de mémoire, un besoin de transmission à la fois personnelle et collective, comme lorsqu’il parle de René Lévesque, et de son attachement à l’histoire du Québec.
Au-delà du sujet délicat et touchant de la maladie et des aînés, la pièce ouvre la porte à une réflexion sur le temps qui passe, la dictature du moment présent et le besoin de se souvenir pour avancer et se construire, collectivement et individuellement. Où va une société lorsqu’elle commence à oublier son histoire? On parle de mémoire ici, d’oubli volontaire et de tentatives avortées de mettre au rebut du vécu qui fait souffrir. Paradoxalement, la maladie est un formidable révélateur de ce qui compte. Bien qu’elle joue avec les souvenirs du vieil homme, Bérénice réveille l’envie de vrai en lui, et devient la seule personne à connecter avec lui car elle répond à son besoin de parler, de transmettre. S’attachant à ce qui le fuit, Édouard conclut « Il ne me restera que le présent », lui qui a encore tant à raconter.
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes propres parents pendant la pièce, à ce qu’ils m’ont transmis, à ce dont ils ne souhaitent pas parler et que je ne saurai probablement jamais, aux questions que je n’ai jamais posées, aux racines dont on oublie parfois l’importance pour se tenir droit. Un spectacle bouleversant dont l’écho résonne longtemps en soi.
Laisser un commentaire