Dans le cadre de Danse Danse, le Théâtre Maisonneuve a accueilli Maguy Marin et sa pièce Salves. Un objet chorégraphique troublant et inattendu, aussi bien dans la forme que dans le fond.

Tout commence dans le silence et en pleine lumière, alors que les danseurs arrivent tour à tour sur scène, depuis la salle, tissant et se partageant un fil transparent presque invisible entre leurs doigts, chacun pour soi et pourtant, dans un même mouvement qui crée le lien. Cette introduction lumineuse laisse vite la place à l’obscurité, puisque Salves est une pièce qui se joue dans l’ombre. Le spectateur assiste à une succession de tableaux fugaces et fulgurants, entre-coupés par des moments de noir total. On reconnaît ici une référence cinématographique, là un geste historique, et puis, des affiches d’Elvis Presley…le tout sur un fond sonore quelque peu dérangeant, des fragments de discours politiques enregistrés à la radio, des entrevues inaudibles, des extraits de films en plusieurs langues, qui sont diffusés par des magnétophones répartis sur scène.

Il n’y a pas de véritable narration suivie dans Salves. Les scènes interrogent le spectateur, car elles ne sont pas complètes, ce ne sont que des fragments, bien que certaines reviennent et se déclinent comme un refrain. Cet émiettement du sens est d’autant plus fort que le plateau tout entier devient un joyeux désordre, les danseurs occupent l’espace intensément, dans un ballet chaotique au rythme soutenu et parfaitement calculé. Le mouvement des danseurs est précis, tout est question de rythme et de temps dans cette succession de saynètes. De la vaisselle cassée, des statues brisées, des courses effrénées pour essayer de préparer un festin qui n’aboutit jamais, autant d’éléments qui questionnent la civilisation qui s’effondre, le sens de l’Histoire dont on cherche à recoller les morceaux.

On finit par se dire que tout est perdu, que tout casse et recommence sans cesse comme si l’homme n’apprenait jamais, mais la scène finale agit comme une catharsis, libératrice pour le spectateur. Les danseurs, maintenant en pleine lumière déchargent leur frustration de la fugacité dans un festin chaotique, et jouent autour d’une table enfin mise, se battent, se frappent, se lancent de la nourriture, tels des clowns de cirque. Célébrer par l’excès avant que la fin nous rattrape? Alors que le propos global du spectacle semblait véhiculer un désenchantement du monde et de l’homme dans l’Histoire, la scène finale vient relancer une salve d’énergie au public, s’agit-il d’une explosion de folie face au sens qu’on ne parvient pas à trouver? une simple célébration d’être encore là après tout ce à quoi l’homme a survécu? ou une conjuration, pleine d’espoir, du mauvais sort qui nous attend? Salves pose beaucoup de questions mais nous rappelle aussi que toute réponse serait fatalement absurde, alors autant danser. Brillant.



Crédit photo: Didier Grappe.