Entre consommation effrénée, narcissisme et réseaux sociaux, drogues, sexualité extrême et vide intérieur, la pièce Disparaitre ici plonge le spectateur dans l’univers singulier et dérangeant de Brett Easton Ellis. À consommer sans modération.
Jocelyn Pelletier et Edith Patenaude présentent ces jours-ci à la Chapelle la pièce Disparaître ici, inspirée des écrits de l’auteur américain Brett Easton Ellis (American Psycho). Au centre de l’intrigue, une gang d’amis trentenaires, bourgeois, narcissiques et égotiques, à la vie sociale débridée. Blasée de tout, cette génération (la mienne?) cherche son salut en calculant savamment l’impact de ses posts sur les réseaux sociaux, priorise ses décisions selon le nombre de likes attendus, se noie dans le social. Moi, moi, moi.
Le débit des acteurs est rapide à l’extrême, porté par l’urgence de parler de soi, parce qu’il n’y a finalement que cela qui compte. L’individualisme est total à tel point qu’il en vient à en effacer le collectif. L’obsession de l’apparence, le culte du fake et du contrôle permanent de son image poussent à se mettre en scène constamment. Chacun se noie de sa propre parole, s’écoute, se compare et se regarde vivre. Pour être autre chose que soi-même, en restant pendu aux trois petits points sur fond gris qui annoncent le prochain texto. Soirées débridées, cruise, coke. La bullshit sociale est sans fond ni authenticité, l’humain disparaît.
Même en forçant le trait, les auteurs réussissent à faire briller des dialogues remplis de pertinence et d’humour. En mettant le spectateur au cœur de la pièce (puisque les acteurs s’adressent souvent à lui), le texte vient gratter, explorer et torturer nos failles en exposant nos dialogues intérieurs, sans filtre. Le spectacle cherche à faire du public un miroir qui crée un véritable trouble identitaire : découvrir cet autre soi, qu’on préférerait ne pas connaître. On devient voyeur des travers de ces êtres vides de sens mais remplis d’eux-mêmes, qui se noient dans les extrêmes pour se sentir vivre…jusqu’à l’événement qui fait basculer le groupe : l’une d’entre eux reçoit un snuff movie, film qui met en scène le meurtre, le viol ou la torture d’une personne, qu’elle croit connaître.
Dès lors, c’est le flou qui s’installe, porté par l’évolution du décor tout au long de la pièce et la mise en scène ingénieuse. Une simple succession de bâches plastiques translucides que les acteurs font tomber les unes après les autres métaphorise la lente plongée des personnages dans la folie et le doute face à la réalité, qui sera au cœur de la deuxième partie. Mises en abyme successives? Théâtre dans le théâtre? On plonge dans l’extrapolation et l’horreur de la violence (fantasmée?). On atteint une nouvelle couche de profondeur dans la perte de repères, la psychose, la manipulation. À la fois victime, bourreau et voyeur, chaque personnage est aux abois, tout comme le spectateur qui devient témoin (consentant?) de cette anesthésie du manque d’empathie pour l’Autre. Après ce spectacle marquant de 2h45 (avec 15 minutes d’entracte) dans lequel le temps se fait instantané et la réflexion urgente, on comprend qu’un sursaut d’humanité et d’authenticité est plus que jamais nécessaire. Il est grand temps.
Crédit photo : Charles Fleury
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