La galerie Arprim accueillait lundi soir le lancement du dernier projet du collectif Les Cousins, « Independently together », une réflexion pertinente et ludique sur la notion de collectif artistique, pris entre les contraintes de la collaboration et le désir d’expression individuelle. J’ai eu l’occasion de recueillir les impressions de quelques Cousins lors de cette soirée-événement unique.

Jouer collectif

Comme son nom l’indique, le Collectif Les Cousins, c’est avant tout une histoire de famille…créative. Sept créatifs, originellement un groupe d’amis (des Français et des Canadiens…d’où le nom de Cousins) ont associé leurs talents individuels : illustration, design graphique), photo, vidéo, direction artistique, web design et conception sonore, afin de développer ensemble une offre créative originale, qui couvre des projets tous azimuts, entre art et design. Selon Emmanuelle Choquette, directrice générale d’Arprim, un projet comme celui des Cousins permet à l’organisme de jouer son rôle de « centre d’essai » en arts visuels liés à l’art imprimé : « Notre programmation tourne habituellement autour d’artistes professionnels en arts visuels, émergents ou établis, mais comme on est un centre d’essai, ça leur permet aussi d’essayer des choses en lien avec l’art imprimé, qui sont peu développées dans leur pratique ou qu’ils ne mettent pas de l’avant habituellement, donc ça leur permet d’ouvrir vraiment cette exploration-là. »

C’est donc à partir de cette posture et sur l’invitation de la galerie Arprim qu’est née l’idée d’Independently together, un projet collectif ludique autour de la question de la collaboration vs. l’individualité. « Sachant que chacun a sa propre carrière, le défi qui se pose souvent au sein du collectif est de trouver le temps de se réunir et de travailler ensemble. À la suite de ce constat, on s’est questionné sur comment réussir à travailler ensemble tout en étant séparés », explique Olivia Grandperrin, directrice artistique et designer graphique. Le projet Independently together était né.

Les règles du jeu

En s’inspirant du cadavre exquis cher aux Surréalistes, les Cousins ont réfléchi au développement d’une création commune, réalisée par sept différentes individualités et autant d’emplois du temps et de lieux de travail pas toujours conciliables. Le concept : à partir d’un calendrier défini en amont, on avait créé des séquences de création, en attribuant à chaque Cousin une seule journée durant laquelle il/elle devait réaliser une production (image, photo, vidéo, son, image glanée sur internet) en réaction à la production envoyée par la personne précédente, la veille.
Independently together
« J’ai fourni la première image, confie Olivia Grandperrin, je l’ai envoyée à la personne suivante sur le calendrier, et ce Cousin-là devait rebondir sur ce que j’avais fait, mais en gardant le processus secret. À chaque fois, c’était un jeu de ping-pong entre deux personnes, qui s’est répété sur une durée de 3 semaines, soit environ 3 tours chacun. »
Outre la spontanéité, la contrainte de temps (une journée) avec l’obligation de résultat a teinté le processus d’un sentiment d’urgence face à l’impératif de création. Selon Anne-Margot Ramstein, illustratrice au sein du collectif, le projet a également eu le mérite de lancer une réflexion sur le travailler ensemble : « On a compris comment chacun pouvait réagir aux différentes propositions et savoir si l’Autre allait proposer une réponse plus conceptuelle, formelle ou poétique aux différents sujets proposés. »

Naturellement, au-delà des fondements conceptuels de la démarche, il ne faut pas sous-estimer le volet ludique lors de la réalisation de chaque création. Comme l’explique Anne-Margot, « l’idée était de jouer à récupérer la balle qui nous était envoyée par un joueur avant d’en envoyer une autre à un autre joueur, donc on pouvait être soit très vicieux, soit très gentil. Le fait de savoir qui passait après nous, nous permettait, soit de tendre une perche pour permettre au suivant de faire des choses faciles, ou au contraire, de le mettre en difficulté. Il y avait un rapport au jeu très intéressant et très stimulant pour la création. » De façon étonnante, il y a beaucoup de références au jeu et au hasard dans le résultat final, sans qu’il y ait cependant eu la moindre concertation sur un thème.

La règle du je

Ce projet collectif a également été l’occasion de créer des bulles d’individualité. Selon Mathias Aregui, illustrateur, il est toujours difficile de collaborer au sein d’un collectif, surtout quand on a l’habitude de travailler seul, et accepter les conseils ou les réactions de l’autre qui a la même pratique que soi pendant un processus créatif reste un défi. Mathias reconnaît ainsi que l’exercice d’Independently together a eu la vertu d’éliminer les tergiversations, grâce à la pratique de « fulgurances » créatrices, une des forces du concept. Même sentiment pour Thomas Dupouy, concepteur sonore, qui avoue une résistance au travail en groupe. « J’ai du mal à faire des compromis, donc travailler seul, c’est vraiment agréable, tu fais tes propres choix, dans ta propre fourchette de temps. On se rend compte qu’on perd du temps quand on prend en compte les points de vue de chacun. Quand on est tout seul et qu’on n’a qu’une journée, on doit être vraiment efficace », confie-t-il. Comme tout collectif, l’espace créatif des Cousins oscille donc entre l’égo individuel et la solidarité et l’émulation du groupe. Mais l’exercice d’Independently together, basé sur la complémentarité des expertises, a révélé aussi le plaisir d’un suspense partagé par chacun des membres du collectif. « Tout au long du projet, on ne pense qu’au moment où on va tout voir ensemble. Et ça ne peut forcément être que bien, le tout ensemble », déclare Thomas.

Intellos rigolos

Independently together
Independently together
C’est toujours la question du cheminement de la pensée créative qui revient dans Independently together, car « l’idée est de montrer, grâce à l’étrange objet final, une sorte de processus de pensée collective, juste par rebonds, réalisé par sept individualités qui ne se sont pas concertées », conclut Olivia Grandperrin. De la photo d’une femme dont le visage radieux est recouvert de sang, tenant son bébé tout juste né encore plein de sang dans ses bras (joli symbole pour la naissance d’un projet), on arrive à l’illustration d’un chandelier avec une saucisse en guise de bougie… Tout un cheminement de pensée qui étonne et amuse encore les membres du collectif, car en plus de s’appuyer sur une approche réflexive solide et un brin intello, nos Cousins restent avant tout de grands enfants qui considèrent la création comme leur terrain de jeu favori.

Pour en savoir plus sur les Cousins, leurs projets, dont Independently together, consultez leur site internet ou leur compte Facebook.
L’édition d’artiste (édition limitée) de Independently together est disponible au Magasin de la Galerie Arprim (372 Rue Sainte-Catherine Ouest, suite 426, Montréal)
Les Cousins sont constitués de : Mathias Aregui, Julien Discrit, Thomas Dupouy, Olivia Grandperrin, Maxime Poulliot, Anne-Margot Ramstein et Michael Wasiak.

À Noter : Les Cousins ont récemment reçu une belle reconnaissance puisqu’ils ont été invités par le festival Pop Montréal (du 17 au 21 septembre 2014), à réaliser un décor pour le symposium du festival, qui servira de fond de scène lors des conférences. Pour ce faire, les Cousins sont allés chercher leur inspiration dans les Formes Sacrées. Comme l’explique Olivia, il s’agit « d’un vocabulaire de formes répertoriées vers la fin du XIXème siècle et qui est censé être l’ADN de nos perceptions hallucinatoires, par exemple, en cas de migraine, d’hallucination, ou en appuyant très fort sur ses paupières, on perçoit des formes, toujours les mêmes, et il a été prouvé que ces formes étaient les mêmes dans toutes les sociétés à travers le temps, donc c’est comme une sorte d’ADN géométrique produit uniquement par le cerveau. Le psychédélisme s’est inspiré de ces formes-là. »
Rendez-vous donc à Pop Montréal pour admirer « Sacred Shapes », la nouvelle création de ce collectif prolifique et talentueux!