13 ans, 1 mois, 12 jours                                         Dimanche 22 novembre 1936
Je ne vais pas seulement décrire les sensations fortes, les grandes peurs, les maladies, les accidents, mais absolument tout ce que mon corps ressent.

86 ans, 2 mois, 28 jours                                         Jeudi 7 janvier 2010
Les résultats de mes dernières analyses me soufflent que le moment est venu de prendre la plume une dernière fois. Quand on a, sa vie durant, tenu le journal de son corps, une agonie, ça ne se refuse pas.

Comme son titre l’indique, le narrateur du Journal d’un corps a tenu son journal (de l’) intime tout au long de sa vie, de l’âge de 13 ans à sa mort à 87 ans…à travers le prisme de son corps. Un corps vécu, éprouvé, tour à tour enveloppe sacralisée et objet d’expériences triviales. Le narrateur devient l’observateur privilégié et l’interprète de sa chair, ses organes, ses cellules. Bobos d’enfance, maladies, accidents, sexualité, émotions et transit intestinal etc., tout passe par le filtre du corps.

Sous la plume soignée de Pennac, on devient témoin de la vie de cet individu, qui brise le tabou de la corporalité et fait au lecteur le cadeau de son intimité, dans un don de soi qui prête souvent à rire et qui émeut. Des sujets sérieux comme la mort, la maladie, le deuil côtoient des anecdotes savoureuses de crottes de nez avalées ou d’étrons bien moulés à la satisfaction du narrateur… Bref, une vie totalement incarnée, qui n’exclut cependant pas le sentiment ou la psyché mais les matérialise dans la chair.

Malgré le caractère tabou de l’angle choisi par l’auteur (il s’agit tout de même d’un sujet relativement peu abordé), le propos résonne chez le lecteur, on est presque immanquablement tenté d’imiter le narrateur, et d’expérimenter notre propre corps, de réfléchir à notre fonctionnement interne et à notre relation à nos sensations. Eh oui, on se reconnaît nécessairement dans l’universalité du propos, et on jubile dans cette mise à nu des manies personnelles et intimes du narrateur. Un roman qui dit les choses qui ne se disent pas, et qui le fait de façon délicieuse!

Crédit : illustration de Manu Larcenet, Journal d’un corps (version BD)