Attention, gros talent! La pièce de Brice Noeser, Ruminant Ruminant, présentée avec la complicité de Karina Iraola est tout simplement à ne pas manquer.
On parle ici d’absurde (que ce soit en mouvement, en parole ou en situation) de langues qui s’entrechoquent (allemand, espagnol, français etc.), d’exploration du genre, d’un questionnement du langage brillant, d’une relation donnant-donnant avec le 4ème mur, qu’on détruit, ignore, reconstruit, etc. Bref, c’est un territoire riche que nous propose ces jours-ci à la Chapelle le chorégraphe et interprète Brice Noeser.

Organisé sous forme de saynètes, Ruminant Ruminant explore des décalages multiples et tisse un réseau d’échanges interdisciplinaires où le mouvement répond à la parole, où les langues s’entrecroisent avant de se mêler, où un discours docte est contredit par un geste comique etc. Autant de tensions ludiques qui conspirent autour du langage avec une dextérité brillante, sous de faux airs nonchalants.

C’est ainsi que les interprètes jouent à se lancer des défis, ainsi qu’au public. Faire du calcul mental en récitant des dialogues, par exemple. Les jeux semblent absurdes mais croisent les moyens d’expression, les niveaux de langage, les références pop (jamais Les sucettes de France Gall n’auront été aussi drôles)

L’un des moments marquants de dextérité reste la proposition de traduction en direct d’une entrevue, où l’un des interprètes traduit les paroles de l’autre jusqu’a ce que, subtilement, les rôles s’inversent en plein milieu d’une phrase et la traduction devient presque dialogue. Une exécution franchement brillante.
Imaginez encore un monologue de Victoria Abril dans le film Kika, décomposé d’abord dans sa gestuelle (qu’on ne reconnait pas tout de suite), puis incarné dans la parole et enfin prenant vie sur l’écran dans une révélation qui résout l’énigme. La chorégraphie précède la parole étrangère (en espagnol), qui elle-même précède l’image dans un continuum qui tricote le fil du sens, en décalant les moments de compréhension du public.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les multiples couches de sens finement ciselé qui composent cette séance de jeux de mots et de mains mais je n’ajouterai que ceci : il ne reste que deux représentations, alors courez-y!


Crédit photo : Sonya Stefan