OK, quitte à passer pour un rabat-joie, je n’ai jamais été un grand fan de Noël. La joie sur commande, sur fond de Mariah Carey s’égosillant dans les centres d’achat, j’ai du mal…Cela dit, j’ai un cœur comme tout le monde (si, si) – on parle quand même de culture sensible sur Diffractions – alors je reconnais que la promotion de cette bienveillance saisonnière est un éternel premier pas vers un mieux de l’humanité mais ça fait quand même 2000 ans qu’on fait le premier pas une fois par an…Moi je milite pour la bienveillance à l’année longue, comme une élégance de vie. C’est ça, l’élégance est dans la bienveillance, avis aux fashionistas. Bref…Quoi qu’il en soit, cette année, j’ai décidé de plonger dans la saison des fêtes en allant assister à une représentation des Contes urbains, version 2013, au Théâtre de la Licorne. Et j’ai bien fait!

6 contes de « Noël », écrits par 6 auteurs différents et racontés par 6 comédiens. On parle de la ville, bien entendu, avec les thématiques de la naissance, de l’enfance, de la transmission, bref, il est question d’identité, comme à chaque Noël où les racines nous chatouillent. Le tout, entrecoupé d’intermèdes musicaux très réussis. 2h30 de spectacle qui passent à une vitesse folle…Retour rapide sur chacun des contes.

Madame Renard, de Julie-Anne Ranger, dit par Rachel Graton.
Le conte de l’origine. Madame Renard est l’épouse d’un renard millénaire, né ici, avant que Montréal ne soit Montréal. Blottis dans le ventre de la terre, ces deux renards immortels ont vu se succéder des générations de renards, d’orignaux, d’hommes. Dans cette fable de la terre et des racines, Madame Renard, « fille de personne et mère de tout le monde », recrée le mythe fondateur des origines du Québec et des Québécois. Une entrée en matière un peu déconcertante, mais un potentiel poétique certain.

Saucisse bacon, de Martin Bellemare, dit par Hubert Proulx.
Le conte du père. Le comédien nous raconte qu’il vient de voir son père défunt, dans la ruelle derrière le théâtre de la Licorne, juste avant d’entrer en scène. Père qui lui tendait deux bières, dans la reproduction d’une scène qu’il avait vécue à l’âge de 16 ans, au moment où il s’était demandé pour la première fois s’il était heureux. Un écho au texto de sa blonde qui lui annonce des résultats de tests de fertilité positifs. Ah, la paternité…

Votre crucifixion, de Rébecca Déraspe, dit par Catherine Trudeau.
Le conte de la mère. Clairement le summum du spectacle. J’ai ri, mais tellement ri de cette mère aux prises avec sa responsabilité de parent, et surtout les attentes de la société face à la maternité. Conte destiné à toutes les « Marie » de ce monde, Votre crucifixion est une « crise de mère » qui s’incarne à partir d’un simple événement : son enfant fait un caprice dans une pharmacie et déclenche un déferlement imaginaire de personnages et de situations complètement improbables, porté par la culpabilité d’avoir osé giflé son enfant. Un texte hilarant, une comédienne formidable dans cette jouissive relecture de la nativité.

Le No-pain réveillon, d’Olivier Sylvestre, dit par Hubert Lemire.
Le conte sensible. « Il y a des rêves qui ne se réalisent pas », c’est par cette phrase que le comédien amorce un récit sensible et touchant, celui de son colocataire au coeur brisé (par un homme), qu’il aime secrètement et pour qui il va préparer un repas de Noël afin de lui remonter le moral. Le colocataire en question, séducteur mobile grâce à des applications de rencontres géolocalisées, est obsédé à la fois par sa rupture et la rencontre de nouveaux partenaires de jeu, pendant que le narrateur transpire d’un amour pur en parfaite déconnexion avec l’objet de son affection. Une très belle interprétation d’Hubert Lemire, toute en sensibilité… Pas facile d’être pur dans ce monde…

Ruby pleine de marde, de Sébastien David dit par Mathieu Gosselin.
Le conte de la petite conne qu’on veut gifler. Pour Noël, un couple d’hommes se rend dans la famille supra-catholique de l’un des deux, l’autre devenant naturellement l’éternel coloc. Ce dernier doit vivre l’affront d’une gamine de 6 ans, Ruby, la nièce adorée, gâtée et profondément haïssable. Une petite conne. On se régale de leur duel inégal et politiquement incorrect, et on devine que ce n’est pas forcément l’adulte qui aura le dessus. Misère de l’enfance surprotégée.

Ce qui dépasse, d’Annick Lefebvre dit par Marie-Ève Milot.
Le conte de la tradition. Quelle fin! Marie-Ève Milot nous emporte dans sa colère face à l’oubli des traditions. Le monde des trentenaires d’aujourd’hui, préoccupés par la surconsommation plus que par la transmission des valeurs québécoises. Une vibrante invitation à se souvenir des événements 2013, sous un angle politique et révolté. On en sort pensif. Une belle réussite, qui dépasse le cadre du conte.

Bon, je l’avoue, j’ai passé une très bonne soirée… Mes racines, bien que françaises et italiennes, ont vibré de la même façon que celles des spectateurs québécois du public. Des réflexions universelles sur la tradition, la filiation, la transmission, mises en poésie et en musique, c’était presque déjà Noël, un cadeau à moi-même! Bon temps des fêtes!